06 février 2006

Socioblogie de l’obésité

Le temps d’un message, j’ai décidé de me transformer en obésitologue.
Les messages précédents abordaient l’obésité sous l’aspect « médical ».
Je ne voudrais pas que tout ce que j’ai pu raconter sur l’obésité engendre des effets pervers sur vous ! du genre, j’ai donné du C…O…C…A…, ou j’ai donné de la Pom’pote (compote en tube, baaahhh !) à ma fille hier soir, à la place d’une bonne compote de pomme faite maison… c’est grave docteur ?
D’abord, il faut DEDRAMATISER. Un enfant obèse ne va pas forcément devenir un adulte obèse.
La faute à qui ? A la télé ? vous avez remarqué quand on parle d’obésité à la télé, on montre des images extrêmes de personnes pesant plus de 400kgs… C’est pervers.

On distingue quatre scenarii de « construction de l'obésité » chez l'enfant :
• un premier scénario, qui masque souvent les autres, associe la « mal-bouffe » à des pratiques de grignotages.
• le second correspond à ce que nous appelons une « revanche sociale » et concerne aujourd'hui des populations en situation de mutation et de transfert sociaux.
• le troisième s'applique à l'enfant surveillé/protégé/gavé.
• le dernier correspond à la transgression d'interdits nutritionnels de parents trop rigides.
Quand c’est les quatre à la fois, alors là c’est foutu ! je plaisante, ben alors, faut rigoler…
Avant 1950, les repas sont essentiellement pris à la maison.
Dans les années 50-60, avec l’urbanisation, la restauration hors foyer s’amplifie régulièrement puisque l’éloignement du lieu de travail engendre l’impossibilité de rentrer déjeuner à la maison.
Dans les années 70, le frigo devient l’élément central dans la cuisine, créant une sorte de « réflexe frigo » : en cas de petite faim, il y a passage au frigo à n’importe quel moment de la journée. Les « prêts à manger », sous vide, congelés …( merci Picard) font leur apparition.
Les modes de vie changent : l’insécurité (le crédo à Sarko) arrive avec l’urbanisation ; l’enfant va à l’école en voiture, ce qui réduit ses dépenses physiques.
Cette insécurité se retrouve aussi sur le plan alimentaire : la grande peur alimentaire n’est plus le manque mais l’abondance. Manger est une prise de risque. On s’intéresse à ce qu’on mange (le pourquoi de mon blog !), le phénomène est nouveau. Les catégories les plus jeunes et les plus privilégiées veulent avant les autres savoir ce qu’ils mangent ; c’est l’époque où on commence à s’intéresser aux additifs, colorants…
En résumé, avant la deuxième guerre mondiale, le surpoids était un symbole de bonne santé, de réussite. Aujourd’hui, on est dans un modèle de minceur type Kate Moss (pas franchement un symbole de bonne santé et de réussite !).
Rien ne prédit que ça ne changera pas…
On observe depuis 2 ans un retour « à la maison », conséquence du chômage (merci qui ?), et des èRTéTé (merci Martine Aubry…)
4 scenarii de « construction de l'obésité » chez l'enfant : moteur … action
-La 1ère, celle vue par le PNNS (plan national nutrition santé) fait écran aux trois 3 autres. Il s’agit de la représentation de la personne qui grignote en regardant la télé (« couch potatoes »), qui mange en continue, du lever au coucher, sans être capable de dire quoi lorsqu’on l’interroge. Le danger est que la satiété n’arrive pas . Il s’agit d’un manger machinal de produits « agréables » (chips, cacahuètes, sodas …) « c’est de la faute aux lipides, aux glucides » ou « c’est de la faute à la télé » ? la solution : virer la télé…
En fait, il faut développer les activités physiques chez les enfants, mais les activités physiques non obligées telles la marelle, les jeux de ballon, élastique, corde à sauter, chat et souris…serait plus efficace.
-La 2ème correspond à une revanche sociale. La précarité sociale entraîne un désir de revanche sociale que l’on retrouve dans différents domaines, la mode(« t’as acheté le dernier sac Dior ?) par exemple mais aussi l’alimentation. Les priorités des budgets des familles changent avec une plus grande part accordée à la nourriture.
-La 3ème est la surprotection parentale. Les parents, anxieux par rapport à leur enfant dictent un certain nombre de règle comme de bien manger au petit-déjeuner, par exemple.
-La 4ème est celle de l’orthorexie (= vouloir manger sain). La personne pense «manger juste » comme elle se l’imagine ou comme le « gourou » qu’elle consulte le lui a dit… Pathologiser l’aliment est dangereux.
L’offre alimentaire étant actuellement très importante, la peur du trop amène à réintroduire le manque. Par exemple on supprime le soda, considéré comme un produit malsain, mais on crée un manque qui conduit l’enfant à ensuite se goinfrer, en culpabilisant, hors du regard de ses parents ou de celui qui lui dicte sa conduite alimentaire. Le drame est que lorsque l’ado à qui on a dit « t’as pas le droit de manger ça ou tu dois manger ça », grossit lorsqu’il quitte sa famille : c’est la joie de la transgression.

3 conclusions :
• rendre l’individu « responsable » de leur santé
• prendre l’individu dans sa globalité (un gros ce n’est pas seulement un ventre !)
• ne pas décréter de prohibitions ni de systèmes normatifs.

D’après une conférence de Jean-Pierre Corbeau, professeur de sociologie de la consommation et de l'alimentation à l'Université François Rabelais de Tours, cofondateur de l'Institut Français du Goût, à Tours.

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